Le pari secret entre Éric Gagné et Barry Bonds

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Maxime Lauzier

Publié le 22 décembre 2017 à 7h00

Aujourd’hui j’aimerais vous faire plaisir en remontant un peu le temps et vous parler de l’un de mes moments préférés en MLB.

Dans cette histoire, on y retrouve un joueur que nous tenons tous bien à cœur ici au Québec, nul besoin de le présenter, je parle bien évidemment de Monsieur Éric Gagné.

Je ne reviendrais pas sur sa superbe carrière de closer chez les Dodgers de Los Angeles ni sur sa formidable série de 84 sauvetages consécutifs entre 2002 et 2004, vous savez déjà tout.

Ce sur quoi j’aimerais revenir, c’est un moment particulier dans la carrière de Game Over, un moment qui a pu passer inaperçu pour beaucoup de monde, mais qui m’a réellement interpellé: son duel épique face à Barry Bonds lors de la saison 2004.

Pourquoi tant d’intérêt pour un simple affrontement comme ceux qu’on peut voir au quotidien en MLB?

Voici quelques lignes pour vous mettre dans l’ambiance.

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Éric Gagné, le numéro 38 des Dodgers qu’on ne présente plus. Photo : Getty Images

L’histoire prend naissance au Japon

Toutes les deux années depuis 1986, des joueurs de la MLB étaient invités au Japon pour participer aux MLB Japan All-Star Series. En 2002, les deux protagonistes de l’histoire qui va suivre en faisaient partie.

Parmi les joueurs conviés à cette tournée nippone, on pouvait y retrouver de grands noms comme Roberto Alomar, Jason Giambi, Torii Hunter, Ichiro Suzuki ainsi que deux joueurs des Expos de Montréal : Bartolo Colon et Tomo Ohka.

De tous les joueurs qui allaient faire partie de cette équipe, Barry Bonds était celui que j’avais le plus hâte de rencontrer, raconte Éric Gagné dans son livre Game Over. *

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Barry Bonds et Jason Giambi. Photo : Getty Images

Un pacte avec le diable

Barry Bonds, comme à son habitude, passait son temps à narguer amicalement les lanceurs de l’équipe adverse et Éric Gagné était l’une de ses victimes préférées.

Le frappeur des Giants, trop habitué à voir les lanceurs adverses lui offrir une base gratuite au lieu de l’affronter, a proposé un deal à son rival de division : la prochaine fois que les deux joueurs se rencontreront, Gagné devrait l’affronter avec des balles rapides!

Toutefois, pour ne pas tomber dans le piège tendu par Bonds, Gagné a préféré imposer certaines conditions : avoir au moins trois points d’avance au tableau d’affichage.

Gagné est un gamer. Les défis, il aime ça, il n’éprouve pas la peur. La pression le nourrit et c’est sans doute ce qui explique l’énorme succès qu’il a connu en tant que releveur.

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Éric Gagné et sa biographie « Game Over». Photo : Getty Images

Le pacte avec le diable venait d’être scellé.

Un duel au sommet en MLB

Les deux joueurs se sont croisés à deux reprises en 2003, mais n’ont pas été en mesure de concrétiser leur duel, car les conditions établies au préalable n’étaient pas réunies.

Pas bien grave… Eric Gagné en profite pour rafler le trophée Cy Young cette année-là et Bonds, lui, son 6e trophée de MVP, ce qui donne encore plus de piquant à ce qui va suivre.

Il faudra attendre la saison 2004 pour que, « les astres finissent par s’aligner parfaitement» comme l’a si bien dit Éric Gagné dans son livre. Le duel entre David et Goliath pouvait avoir lieu.

Il faut le rappeler, Gagné était ce qui se faisait de mieux sur la butte à cette époque alors que Bonds était et est, selon moi, sans doute le meilleur frappeur de la planète. Stéroïde ou pas, aller au stade pour voir un de ces deux gars en action en valait vraiment la peine.

Pour avoir eu la chance de voir Barry Bonds au stade un soir à Atlanta, et qu’on l’aime ou pas, je vous jure que même la vessie pleine, on se retient un maximum et on ne quitte pas son siège quand un tel joueur est au bâton.

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Game on !

Le théâtre des opérations, le SBC Park de San Francisco (maintenant AT&T Park). Nous étions en neuvième manche, les Dodgers avaient trois points d’avance, les deux joueurs se sont échangé un regard, un signe de tête… et la table était mise.

Il y avait 42 662 spectateurs au stade, mais seulement deux hommes savaient ce qui se profilait.

Comme prévu, c’est avec des rapides que Gagné a défié Bonds. Peu impressionné par la vélocité des lancers de Gagné, Bonds a fait contact chaque fois qu’il s’est élancé. Gagné a tenté à une reprise de déjouer Bonds avec une courbe vicieuse, en vain.

Nouveau regard entre les deux joueurs.

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Le duel est à son apogée.

Il y a des moments au baseball où l’on sent qu’il va se passer quelque chose. Les joueurs des deux camps l’ont bien senti, à tel point que tous étaient debout, appuyés sur la rampe de sécurité. Un vrai régal pour les yeux. Bonds s’est même permis le luxe d’être en avance sur une rapide à 99 mph de Gagné, la balle est sortie du stade, mais en dehors des limites de jeu.

Toutes les bonnes choses ont une fin. Alors, à qui l’avantage?

La réponse dans la vidéo qui suit.

https://youtu.be/YkdgJeqeCxM

Je ne sais pas ce que les joueurs ont pu penser à ce moment. Dans ce genre de duel, il y a toujours un gagnant et un perdant. Mais je pense que ce soir-là, les deux joueurs ont sans doute «gagné» et surtout passé le moment le plus intense et le fun de leur carrière.

De mon côté, je me suis régalé.

Gagné : «Je n’ai jamais eu autant de fun de toute ma vie!»

Gagné a retiré les deux frappeurs suivants et a en même temps empoché le 66e sauvetage consécutif de sa série historique, mais il venait juste de vivre le moment « le plus le fun et le plus exaltant de sa carrière». *

« Dans tout le baseball majeur, il ne pouvait pas y avoir de face-à-face plus épique que celui auquel nous avons assisté ce soir »* a déclaré le manager des Dodgers à l’époque Jim Tracy.

Cette histoire me passionne, en la prenant du début à la fin, elle représente tout ce que j’aime dans le baseball. Un pari, un match dans le match entre deux personnes qui se respectent. Deux gars, face à face, mais qui ne se feront pas de cadeau le temps d’un passage au bâton. Le tout, en s’amusant, et cela malgré les millions de dollars. Il n’y avait pas meilleur duel possible à l’époque: un Cy Young contre un MVP. Le résultat donne lieu à l’un des affrontements les plus excitants de ces dernières décennies.

Malgré toute la pression et l’adrénaline que ce genre de situation peut générer, ce soir-là, le meilleur lanceur et le meilleur frappeur se sont amusés, et c’est bien là l’essentiel.

Car, oui à la base, le baseball n’est qu’un jeu, un jeu pour enfants pratiqué par des adultes.

*Citations tirées de son livre  Game Over : L’histoire d’Éric Gagné

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