Les matchs complets en voie de disparition

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Maxime Lauzier

Publié le 21 août 2018 à 9h59

Neuf manches. Un minimum de 27 frappeurs à affronter. Autant de retraits à accumuler. Une assurance — ou presque — de franchir le cap psychologique des 100 lancers. C’est le rubicond à franchir pour un lanceur qui souhaite réaliser un match complet. Un relatif exploit qui devient de plus en plus exceptionnel dans les Majeures.

À la fin du mois de juillet dernier, seulement 0,84% des matchs ont vu le même lanceur sur la butte de la première à la neuvième manche. Autant dire qu’il est plus probable de voir un frappeur réussir un carrousel ou même d’attraper soi-même une fausse balle dans les estrades que d’observer un artilleur sur le monticule durant toute la durée d’une partie.

Des saisons bien remplies

Dans les premières décennies du baseball, les lanceurs étaient littéralement condamnés à réaliser des matchs complets. Ils étaient enchainés à leur plaque pour une raison bien simple : la relève n’existait tout simplement pas. C’était — pour le dire crûment — pour les faibles. Prenons le grand Cy Young par exemple. Entre 1890 et 1911, le lanceur étoile a réalisé pas moins de 749 matchs complets. C’est plus 6741 manches lancées. Évidemment, ce record ne sera jamais battu. Le progrès dans le baseball, l’ajout de la relève et son intégration à la stratégie du jeu ainsi que l’ultraspécialisation des lanceurs dans l’enclos des releveurs, donnent à penser que Cy trouverait aujourd’hui ses saisons pas mal plus tranquilles — et c’est le moins qu’on puisse dire — qu’au tournant du 20e siècle.

À titre comparatif, le regretté Roy Hallyday, un des lanceurs les plus dominants de sa génération, a réalisé un « maigre » 67 matchs complets au cours de sa carrière. En 1879, et c’est le record absolu pour une seule saison, Will White ou « Whoop-La » pour ses intimes, un lanceur des Reds de Cincinnati, a lancé un grand total de 75 matchs complets. Une saison estivale qualifiée d’occupée. Cette saison-là, White avait complété le calendrier avec 43 victoires. Je vous l’accorde. Ces chiffres sont tellement éloignés de la réalité des lanceurs contemporains que c’est à se demander si les Young et White étaient de véritables mortels. Je vous épargne les Jim McCormick ou Guy Hecker avec 72 matchs complets en une saison ou encore l’extraterrestre Bill Hutchison, qui entre 1890 et 1892, a complété 278 matchs. J’entends vos bras d’ici vous supplier de ne jamais les soumettre à autant de stress.

Cy Young, avant de se transformer en trophée, lançait un nombre impressionnant de matchs complets. Source : Baseball Hall or Fame

Une chute marquée à partir de 1993

Quand nous regardons les statistiques plus récentes, il faut remonter à 1985 pour voir un lanceur atteindre plus de 20 matchs complets. Il s’agit de l’obscur Bret Blyleven, avec les Indians et les Twins, qui avait débuté et mis fin à 24 rencontres. Avant lui, en 1975, Catfish Hunter, chez les Yankees, avait complété 30 rencontres en une seule saison sous le régime autocratique de Billy Martin. Et cette saison ? Cinq joueurs se partagent le premier rang dans cette colonne statistique avec un énorme deux matchs complets. En clair, si nous avions à dessiner la courbe du nombre de matchs complets chez les lanceurs dans l’histoire du baseball, elle ressemblerait à une piste de la Coupe du monde de descente en skis à partir des années 1990. Car, c’est exactement en 1993, que la disparition des matchs complets s’accélère. À une époque pourtant faste pour les lanceurs partants. Pensons aux rotations redoutables des Braves d’Atlanta, des Expos de Montréal, des Phillies de Philadelphie ou encore celle des Blue Jays de Toronto. Malgré la qualité des lanceurs partants de ces équipes — et d’autres dans le baseball —, les gérants préféraient donner la balle tard dans un match à un Mark Wholers, un Mel Rojas, un Mitch Williams ou encore un Mike Timlin.

La rotation classique des Braves d’Atlanta dans les années 1990. C’est pourtant à cette époque que le nombre de matchs complets dans les Majeures a chuté drastiquement. Source : Pinterest

Toute chose étant égale par ailleurs, rien ne dit que d’ici quelques années, lorsque j’amènerai mon fils dans un stade des Majeures, il ne sera pas possible de voir un lanceur réaliser un match complet. Le baseball fonctionne toujours par phase. Tantôt les lanceurs et les frappeurs connaissent des hauts et des bas. Donnée inquiétante tout de même : nous sommes dans une phase propice pour les lanceurs. Pas nécessairement pour les partants, mais pour les artistes de la relève. (NDLA : je ne parle pas ici d’Anthony Rizzo des Cubs appelé au monticule plus tôt cette année et du nombre record de joueurs de position qui se sont retrouvés à lancer des balles avec souvent peu de grâce) Mais à ceux et celles qui voudraient voir le baseball se jouer plus vite, voir apparaître des chronomètres partout autour du losange, je dirai ceci : il n’y a rien qui ne ralentit plus le jeu que trois changements de lanceur dans la même manche. Pensez-y.

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