Lorsque le film Moneyball a été porté aux écrans en 2011, les A’s d’Oakland sont passés d’une équipe qui laissait la plupart des gens indifférents à une équipe qui devenait le symbole des opprimés, celle qui a toutes les contraintes et qui se bat annuellement pour rester pertinente à travers les mastodontes plein les poches.
Après tout, on y raconte l’histoire des A’s de 2002, qui, perdant trois de ses meilleurs joueurs, tentent par les exploits de leur directeur général Billy Beane, joué par Brad Pitt, de rester au niveau des gros joueurs par une nouvelle stratégie : les statistiques avancées. Comment ne pas tomber en amour avec une telle équipe? D’autant plus que durant les trois années suivant le film, les A’s ont atteint les séries avec des équipes bien moins rodées que celle illustrée dans le film.
Le film est excellent, et autant les amateurs de baseball que les cinéphiles n’y connaissant rien à la balle peuvent l’apprécier. Mais comme tout film qui se base sur des faits vécus, ces faits ont été quelque peu moussés pour servir la trame du film. Et c’est ici que j’interviens. Voici un petit correctif entre ce qui est présenté dans le film et ce qui s’est passé dans la vraie vie.
Et de grâce, ne prenez pas cela comme une critique du film. Simplement, une façon d’améliorer votre culture baseball!
Le vrai MVP n’était pas Scott Hatteberg ou Chad Bradford
À mon premier visionnement, l’élément qui m’a laissé le plus perplexe était par rapport aux joueurs présentés dans le film. L’histoire de Hatteberg est belle, l’acquisition de Ricardo Rincon est un point fort, le lancer de Bradford est étrange. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser : en 2002, ce n’est pas l’année où Miguel Tejada a remporté le titre de joueur par excellence et Barry Zito le Cy Young? Ce n’était pas les belles années des lanceurs partants avec Zito, Tim Hudson et Mark Mulder? Ce n’était pas là qu’Eric Chavez a atteint son apogée?
Oui, oui et oui. En fait, en termes de WAR, le meilleur joueur présenté dans le film est Scott Hatteberg au 7e rang et il est le seul dans les 10 premiers. Évidemment, l’histoire aurait été moins intéressante si les Tejada, Chavez, Zito, Hudson et Mulder avaient été mis de l’avant. Les cinq étaient des produits de l’organisation – à croire que le méchant directeur du recrutement avait fait un assez bon travail –, et simplement parler de leur progression aurait donné une histoire moins intéressante que le recrutement d’un lanceur que personne ne voulait parce qu’il a une drôle de motion.
« I’m Peter Brand »… ou non
L’acolyte de Billy Beane dans le film est un dénommé Peter Brand, interprété par un excellent Jonah Hill (qui l’eût cru!). Si Beane voulait changer sa méthode de travail, c’est Brand qui est sa muse dans le film, le cliché parfait de l’adepte des stats avancée : quelqu’un qui n’a vraisemblablement jamais fait de sport, un peu réservé et dont les décisions sont uniquement basées sur un modèle mathématique.
Le problème, c’est que Peter Brand… n’existe pas! Il représente plutôt un amalgame de différents assistants de Beane à cette époque, dont le principal était Paul DePodesta. Ce dernier a refusé de prêter son nom au personnage, et bien qu’il dit avoir apprécié la performance de Hill, il s’y reconnaît peu.
Quelques faits sur DePodesta :
- Il s’est joint aux A’s en 1998, pas en 2002. Ainsi, il ne s’est pas fait ravir des Indians à l’actuel président des Jays Mark Shapiro. Ce dernier n’y est d’ailleurs pas dépeint très positivement.
- Deux des « protégés » de DePodesta/Brand, Jeremy Giambi et Chad Bradford, ont en réalité été acquis en 2000, avant la chronologie du film.
- Il a étudié l’économie à Harvard, pas à Yale.
- Il était membre des équipes de baseball et de football à l’université. Pas exactement l’athlète que Jonah Hill représente dans le film.
- Avant son premier travail avec les Indians, il a fait un stage avec les Stalions de Baltimore en 1995, à l’époque où la Ligue canadienne de football détenait une équipe aux États-Unis. Ceux-ci allaient déménager à Montréal l’année d’après pour former les nouveaux Alouettes!
Carlos Pena au match des étoiles?
Pas si vite Brad Pitt. Pena a éventuellement participé au match des étoiles… en 2008. Contrairement à ce qui est montré à l’écran, en 2002, il n’était pas une étoile, il n’était pas dans les meneurs pour la recrue de l’année et il n’était pas un grand premier but défensif à ce moment.
En fait, je doute que le gérant de l’époque, Art Howe, se battait pour laisser Pena et sa moyenne au bâton de .218 sur le terrain. Il avait connu un bon mois d’avril avec sept circuits, mais avait frappé pour .108 avec aucun circuit et aucun point produit en mai. Cette séquence lui avait même valu une rétrogradation au niveau AAA avant de se faire échanger. Ironiquement, le gagnant de la recrue de l’année cette année-là, Eric Hinske, avait été échangé par les A’s durant la saison morte!
Pendant ce temps, Scott Hatteberg se débrouillait très bien comme frappeur désigné (il était ainsi dans l’alignement régulier, contrairement à ce qui est sous-entendu) et sa transition au premier but s’est bien déroulée, si bien que sa carrière s’est étirée pendant sept saisons de plus. Quant à la transaction de Pena? Dans le film, Beane demande un releveur, de l’argent et des boissons aux Tigers et le tout se conclut en deux minutes. En réalité, Pena a pris le chemin de Detroit dans une transaction à trois équipes avec les Yankees où sept joueurs ont changé de camp. Alors ça, j’aurai aimé le voir au cinéma!
Bilan
Moneyball n’est pas le premier ni le dernier film à jouer avec les faits pour servir sa trame. Cependant, il a réussi à mettre à l’écran avec brio une histoire de baseball ayant comme thème les statistiques avancées, tout en démontrant les difficultés qu’une équipe de petit marché doit rencontrer annuellement. Pour l’occasion, on lui pardonnera ses petits écarts.
Pendant ce temps, les Athletics d’Oakland sont en voie d’écrire un autre scénario improbable. Après avoir amorcé la saison 2018 avec la plus petite masse salariale du baseball, ils ont une avance de 5,5 matchs pour la dernière place qui donne accès aux séries, avec une vingtaine de match à disputer au calendrier. Une qualification ajouterait certainement du poids à la légende de Billy Beane.
Ça, c’est un fait.